Qu’est-ce que l’agriculture intelligente face au climat?
Introduction
L’agriculture intelligente face au climat (AIC) peut être définie comme une approche visant à transformer et réorienter le développement agricole dans le cadre des nouvelles réalités des changements climatiques (Lipper et al. 2014). 1 La définition la plus couramment utilisée est celle de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), ), selon laquelle l’AIC est « l’agriculture qui augmente durablement la productivité et la résilience (adaptation), réduit/élimine les GES (atténuation) dans la mesure du possible et améliore la réalisation des objectifs nationaux de sécurité alimentaire et de développement ». Cette définition identifie la sécurité alimentaire et le développement comme l’objectif principal de l’AIC (FAO 2013a; 2 Lipper et al. 2014 1); tandis que la productivité, l’adaptation et l’atténuation sont identifiées comme les trois piliers interdépendants nécessaires pour atteindre cet objectif.
Source : Présentation par Irina Papuso et Jimly Faraby, Séminaire sur les changements climatiques et la gestion des risques, 6 mai 2013. 3
Les trois piliers de l’AIC
- Productivité : l’AIC vise à accroître durablement la productivité agricole et les revenus tirés des cultures, du bétail et du poisson, sans porter préjudice à l’environnement. Ceci, à son tour, améliorera la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Un concept clé lié à l’accroissement de la productivité est l’intensification durable.
- Adaptation : l’AIC a pour objectif de réduire l’exposition des agriculteurs aux risques à court terme, tout en renforçant leur résilience par le biais du renforcement de leur capacité à s’adapter et à prospérer face à des chocs et des stress à long terme. Une attention particulière est accordée à la protection des services écologiques que les écosystèmes fournissent aux agriculteurs et à d’autres. Ces services sont essentiels tant pour le maintien de la productivité que pour notre capacité à nous adapter aux changements climatiques.
- Atténuation : dans la mesure du possible, l’AIC devrait contribuer à réduire et/ou éliminer les émissions de gaz à effet de serre (GES). Ceci suppose que nous réduisions les émissions pour chaque calorie ou kilo de nourriture, de fibres et de carburant que nous produisons ; que nous évitions la déforestation due à l’agriculture ; et que nous gérions les sols et les arbres de manière à optimiser la possibilité pour eux de servir de puits de carbone et d’absorber le CO2 de l’atmosphère.
Principales caractéristiques de l’AIC
- L’AIC lutte contre les changements climatiques : contrairement à l’approche classique du développement agricole, l’AIC intègre systématiquement les changements climatiques dans la planification et l’aménagement de systèmes agricoles durables (Lipper et al. 2014). 1
- L’AIC intègre des objectifs multiples et gère des compromis : en principe, l’AIC a un triple avantage, à savoir l’accroissement de la productivité, l’amélioration de la résilience et la réduction des émissions. Toutefois, il est souvent impossible d’obtenir tous ces trois résultats. Souvent, au moment de la mise en œuvre de l’AIC, des compromis s’avèrent nécessaires. Ceci exige que nous identifions les synergies et évaluons les coûts et les avantages des différentes options à la lumière des objectifs des parties prenantes identifiées dans le cadre d’approches participatives (voir Figure 1).
Figure 1: Synergies et compromis pour l’adaptation, l’atténuation et la sécurité alimentaire (Source; Vermeulen et al. 2012, p. C-3) 4
Principales caractéristiques de l’AIC (suite)
- L’AIC maintient les services écosystémiques : les écosystèmes fournissent aux agriculteurs des services essentiels, notamment l’air, l’eau, la nourriture et les matériaux. Il est impératif de veiller à ce que les interventions y relatives ne contribuent pas à leur dégradation. Ainsi, l’AIC adopte une approche paysagère qui repose sur les principes de l’agriculture durable, mais va au-delà des approches sectorielles étroites qui conduisent à des utilisations débridées et concurrentes des terres, pour assurer une planification et une gestion intégrées (FAO 2012b; 5 FAO 2013a 2).
- L’AIC a de multiples points d’entrée à différents niveaux : l’AIC ne doit pas être perçue comme un ensemble de pratiques et de techniques. Elle compte plusieurs points d’entrée, qui vont de la mise au point de techniques et de pratiques à l’élaboration de modèles et des scénarios de changements climatiques, aux technologies de l’information, aux régimes d’assurance, aux chaînes de valeur et au renforcement du cadre institutionnel et politique propice. En tant que tel, elle va au-delà des techniques uniques au niveau de l’exploitation pour prendre en compte l’intégration de plusieurs interventions au niveau du système alimentaire, du paysage, de la chaîne de valeur ou des politiques.
- L’AIC est spécifique au contexte : ce qui est intelligent face au climat dans un endroit peut ne pas l’être ailleurs, et aucune intervention n’est intelligente face au climat partout ou tout le temps. Les interventions doivent tenir compte de la manière dont les différents éléments interagissent au niveau du paysage, au sein des écosystèmes ou entre ceux-ci et dans le cadre de différents mécanismes institutionnels et réalités politiques. Le fait que l’AIC s’efforce souvent d’atteindre plusieurs objectifs au niveau du système rend particulièrement difficile le transfert des expériences d’un contexte à un autre.
- L’AIC mobilise les femmes et les groupes marginalisés :pour atteindre les objectifs de sécurité alimentaire et améliorer la résilience, les approches de l’AIC doivent associer les groupes les plus pauvres et les plus vulnérables. Ces groupes vivent souvent sur les terres marginales qui sont les plus vulnérables à des phénomènes climatiques tels que la sécheresse et les inondations. Ils sont, par conséquent, plus susceptibles d’être affectés par les changements climatiques. Le genre constitue un autre aspect primordial de l’AIC. En règle générale, les femmes ont moins accès et droit à la terre qu’elles cultivent, ou à d’autres ressources productives et économiques qui pourraient contribuer à renforcer leur capacité d’adaptation pour faire face à des phénomènes tels que les sécheresses et les inondations (Huyer et al. 2015). 6 L’AIC s’efforce d’associer tous les acteurs locaux, régionaux et nationaux à la prise de décision. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut identifier les interventions les plus appropriées et nouer les partenariats et alliances nécessaires pour rendre possible le développement durable.
Voir les études de cas sur les interventions de l’AIC
Au nombre des exemples d’interventions spécifiques de l’AIC figurent la gestion des sols, le maïs tolérant à la sécheresse, le développement laitier, l’élevage intensif de silures, le financement du carbone pour la restauration des champs de cultures, la batteuse-vanneuse de riz, les prévisions des précipitations et un système d’incitation pour l’agriculture à faible émission de carbone.
References
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Lipper L, Thornton P, Campbell BM, (…), Torquebiau EF. 2014. Climate-smart agriculture for food security. Nature Climate Change 4:1068-1072.
http://dx.doi.org/10.1038/nclimate2437 L’agriculture intelligente face au climat (AIC) est une approche visant à transformer et réorienter les systèmes agricoles en vue de promouvoir la sécurité alimentaire face aux nouvelles réalités des changements climatiques. Les changements généralisés au niveau des précipitations et des températures mettent en péril la production agricole et accroissent la vulnérabilité des populations tributaires de l’agriculture pour leurs moyens d’existence, ce qui inclut la plupart des pauvres dans le monde. Les changements climatiques perturbent les marchés alimentaires, ce qui menace l’approvisionnement en denrées alimentaires pour l’ensemble de la population. Ces menaces peuvent être réduites en renforçant la capacité d’adaptation des agriculteurs et en augmentant la résilience et l’efficacité de l’utilisation des ressources dans les systèmes de production agricole. L’AIC promeut des actions coordonnées de la part des agriculteurs, des chercheurs, du secteur privé, de la société civile et des décideurs vers des stratégies résilientes aux changements climatiques dans les quatre principaux domaines d’action suivants : 1) l’accumulation des preuves ; 2) l’accroissement de l’efficacité institutionnelle locale ; 3) la promotion de la cohérence entre le climat et les politiques agricoles ; et 4) l’établissement de liens entre le climat et le financement agricole. L’AIC diffère des approches habituelles en ce sens qu’elle met l’accent sur la capacité à mettre en œuvre des solutions souples et spécifiques au contexte, appuyées par des politiques et des actions de financement novatrices. -
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FAO. 2013a. Climate-Smart Agriculture: Sourcebook. Rome, Italy: Food and Agriculture Organization of the United Nations.
http://www.fao.org/3/a-i3325e.pdf D’ici à 2050, la population mondiale augmentera d’un tiers. La plupart de ces 2 milliards de personnes supplémentaires vivront dans des pays en développement. Dans le même temps, davantage de personnes vivront en ville. Selon les estimations de la FAO, si les tendances actuelles de la croissance du revenu et de la consommation se poursuivent, il faudra augmenter la production agricole de 60 % d’ici à 2050 pour satisfaire les besoins alimentaires tant humains qu’animaux escomptés. Par conséquent, l’agriculture doit se transformer afin de parvenir à nourrir une population mondiale croissante et servir de base à la croissance économique et à la réduction de la pauvreté. Les changements climatiques rendront cette tâche plus difficile dans le cadre du scénario du statu quo, en raison de leurs effets néfastes sur l’agriculture, ce qui nécessitera une spirale d’adaptation et de coûts connexes. -
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Papuso I, Faraby JA. 2013. Climate Smart Agriculture. Seminar on Climate Change and Risk Management, May 6, 2013.
http://www.slideshare.net/jimalfaraby/climate-smart-agriculture-20675751 Cette ressource comprend des diapositives tirées d’une présentation qui donnent un aperçu du concept d’agriculture intelligente face au climat. -
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Vermeulen SJ, Campbell BM, Ingram SJI. 2012. Climate Change and Food Systems. Annual Review of Environment and Resources 37:195-222.
http://dx.doi.org/10.1146/annurev-environ-020411-130608 Les systèmes alimentaires contribuent à hauteur de 19 % à 29 % aux émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre (GES), libérant 9 800 à 16 900 mégatonnes d’équivalent dioxyde de carbone (Mt CO2e) en 2008. La production agricole, y compris les émissions indirectes liées au changement de couverture terrestre, contribue à hauteur de 86 % aux émissions totales du système alimentaire, avec d’importantes variations régionales. On s’attend à ce que les effets des changements climatiques mondiaux sur les systèmes alimentaires soient généralisés, complexes, géographiquement et temporellement variables et profondément influencés par la situation socioéconomique. Les études statistiques historiques et les modèles d’évaluation intégrés prouvent que les changements climatiques affecteront les rendements et les revenus agricoles, les prix des aliments, la fiabilité de la livraison, la qualité des aliments et, surtout, la sécurité des aliments. Les producteurs et les consommateurs d’aliments à faible revenu seront plus vulnérables aux changements climatiques, en raison de leur capacité plus limitée à investir dans des institutions et des technologies adaptatives dans le contexte des risques climatiques croissants. Il est possible de créer certaines synergies entre sécurité alimentaire, adaptation et atténuation. Toutefois, des interventions prometteuses telles que l’intensification de l’agriculture ou la réduction des déchets, nécessiteront une gestion minutieuse afin de répartir efficacement les coûts et avantages. -
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FAO. 2012b. Mainstreaming climate-smart agriculture into a broader landscape approach. Rome, Italy: Food and Agriculture Organization of the United Nations.
http://www.fao.org/docrep/016/ap402e/ap402e.pdf La grande diversité actuelle des paysages semi-naturels et artificiels est le résultat de centaines d’années d’interventions humaines. La gestion et l’utilisation des ressources naturelles et des services d’origine écosystémique ont permis de répondre aux nombreux besoins de l’humanité en aliments, en fibres, en fourrages, en combustibles, en matériaux de construction, en médicaments et en eau. Cependant, elles se sont souvent faites de manière non durable, ce qui a causé la dégradation de la base de ressources naturelles et la perte de services d’origine écosystémique. La pression croissante exercée par la croissance démographique, les changements liés aux modes de consommation alimentaire, les changements climatiques et la concurrence d’autres secteurs affaiblit encore la viabilité des systèmes actuels. Le triple défi qui consiste à la fois à atténuer les effets des changements climatiques, à protéger plus efficacement les ressources naturelles et à produire davantage de nourriture et garantir la sécurité alimentaire pour les générations futures exige des politiques et des approches efficaces. Cet article traite de la manière dont les approches paysagères peuvent être utilisées dans la création de systèmes de production polyvalents intégrés qui soient écologiquement et socialement viables. Le document évalue les principales interventions politiques, financières, institutionnelles et de gouvernance nécessaires et analyse comment une approche paysagère peut favoriser l’adoption d’une agriculture intelligente face au climat et engendrer une croissance verte. Enfin, il traite de la manière dont les synergies entre les secteurs agricole et forestier peuvent être améliorées et comment cela peut être facilité par la mise en œuvre du programme REDD+. -
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Huyer S, Twyman J, Koningstein M, Ashby J, Vermeulen SJ. 2015. Supporting women farmers in a changing climate: five policy lessons. Policy Brief 10. Copenhagen, Denamrk: Reseach Program on Climate Change, Agriculture and Food Security (CCAFS).
https://cgspace.cgiar.org/rest/bitstreams/60479/retrieve Les récents travaux de recherche présentés au cours d’un séminaire organisé à Paris par le Programme de recherche sur le changement climatique, l’agriculture et la sécurité alimentaire (CCAFS) du GCRAI, le Conseil international des sciences sociales (CISS) et Future Earth ont débouché sur les cinq recommandations clés suivantes visant à soutenir les femmes agriculteurs dans le contexte des changements climatiques : « les nouvelles technologies et pratiques en matière de changements climatiques seront adoptées avec plus de succès si elles correspondent aux intérêts, aux ressources et aux demandes des femmes » ; « les services de vulgarisation et d’information sur le climat doivent profiter tant aux femmes qu’aux hommes » ; « les institutions doivent tenir compte des priorités des femmes et renforcer leur capacité d’adaptation » ; « la capacité des femmes en tant qu’agricultrices et innovatrices doit être reconnue et soutenue » ; et « les processus des politiques climatiques doivent aller au-delà de la représentation numérique des femmes pour créer des mécanismes actifs leur permettant d’exprimer leurs opinions, de prendre des initiatives et d’influencer les décisions ».